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Le Non-Voyage
13 février 2013

suite

 

I-Le non-voyage répond à la définition du voyage

a) un retour sur soi

 

Simone de Beauvoir, la Force des choses, autobiographie, 1963

 

     Je faisais des cauchemars chaque nuit. Il y en avait un qui revenait si souvent que j'en ai noté une version :

 

      « Cette nuit, un rêve d'une extrême violence. Je suis avec Sartre dans ce studio; le phono* repose sous son voile. Soudain, musique, sans que j'aie bougé. Il y a un disque sur le plateau, il tourne. Je manœuvre le bouton d'arrêt : impossible de l'arrêter, il tourne de plus en plus vite, l'aiguille ne peut pas suivre, le bras prend d'extraordinaires positions,     l'intérieur du phono ronfle comme une chaudière, on voit des espèces de flammes, et le luisant du disque noir, affolé; d'abord l'idée que le phono va se détraquer, une angoisse limitée, puis qui devient immense : TOUT va exploser; une rébellion magique, incompréhensible, c'est un dérèglement de tout. J'ai peur, je suis aux abois; je pense à appeler un spécialiste. Je crois me souvenir qu'il est venu; mais c'est moi qui finalement ai pensé à déconnecter le phono et j'avais  9 peur en touchant la prise; il s'est arrêté. Quel ravage ! le bras réduit à une espèce de brindille tordue, l'aiguille pulvérisée, le disque pulvérisé, le plateau déjà attaqué, les accessoires anéantis, et la maladie continuant à couver à l'intérieur de la machine ». À l'instant du réveil où je le récapitulai, ce rêve avait pour moi un sens évident : la force indocile et mystérieuse, c'était celle du temps, des choses, elle dévastait mon corps (ce misérable rogaton* de bras desséché), elle mutilait, elle menaçait de radical anéantissement mon passé, ma vie, tout ce que j'étais.

 

 

 

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